L’année 2025 s’annonce déterminante pour le paysage juridique français et européen. Des arrêts attendus de la Cour de cassation aux décisions imminentes du Conseil constitutionnel, en passant par les positions de la CEDH et de la CJUE, plusieurs contentieux majeurs façonneront notre droit. Ces décisions aborderont des problématiques technologiques, environnementales, sociétales et économiques inédites, créant des précédents jurisprudentiels durables. Analysons les affaires pendantes qui marqueront l’évolution normative et doctrinale des prochains mois.
La régulation juridique de l’intelligence artificielle
L’année 2025 verra les premières applications contentieuses du règlement européen sur l’IA (AI Act) adopté en 2024. Plusieurs juridictions françaises et européennes devront préciser les contours de ce cadre normatif novateur. L’affaire « Predictive Justice Systems c/ Ministère de la Justice » (pourvoi n°25-14.789) permettra à la Cour de cassation de se prononcer sur l’utilisation d’algorithmes prédictifs dans le processus judiciaire. La question fondamentale porte sur la transparence algorithmique et les garanties procédurales nécessaires lorsqu’un système automatisé contribue à l’orientation des décisions judiciaires.
Du côté du Conseil d’État, le recours « Association de défense des libertés numériques c/ Agence nationale de sécurité des systèmes d’information » (n°482951) questionnera les limites de l’utilisation des systèmes de reconnaissance faciale par les autorités publiques. Cette affaire, prévue pour mars 2025, posera la délicate question de l’équilibre entre sécurité publique et protection des données personnelles.
La CJUE devra quant à elle trancher la question préjudicielle posée par le Bundesgerichtshof allemand sur la responsabilité juridique des concepteurs d’IA en cas de dommages causés par une décision autonome (affaire C-178/24). Cette décision établira un précédent majeur sur l’imputabilité des préjudices dans les chaînes de décision partiellement automatisées.
Ces jurisprudences dessineront les premiers contours d’un droit de l’IA européen, en complément du cadre réglementaire. La doctrine anticipe particulièrement la décision « DeepMind Healthcare c/ Commission de protection des données » (Irlande) qui pourrait redéfinir les modalités d’utilisation des données de santé pour l’entraînement des modèles d’IA médicale. Les juges devront déterminer si le consentement spécifique des patients est requis pour chaque nouvelle application ou si un consentement général peut suffire sous certaines conditions.
Justice climatique et responsabilité environnementale
L’affaire « Collectif Climat 2025 c/ État français » attendue devant le Conseil d’État en avril 2025 marquera une nouvelle étape dans la judiciarisation des questions climatiques. Suite à l’affaire Grande-Synthe, ce nouveau contentieux vise à faire reconnaître l’insuffisance des mesures prises pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés pour 2030. La particularité de cette affaire réside dans la demande d’une astreinte financière calculée sur la base du coût social du carbone.
Parallèlement, la Cour de cassation examinera en chambre mixte l’affaire « Association Terre et Mer c/ Société Pétrolière Internationale » (pourvoi n°25-18.421) qui pose la question de la responsabilité extraterritoriale des entreprises françaises pour les dommages environnementaux causés par leurs filiales à l’étranger. Cette jurisprudence pourrait considérablement renforcer la portée du devoir de vigilance instauré par la loi de 2017.
Au niveau européen, la CEDH rendra son arrêt dans l’affaire « Jeunes pour le climat c/ 33 États européens » qui invoque la violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision pourrait consacrer un véritable droit à un climat stable comme composante du droit à la vie privée et familiale.
Une attention particulière sera portée à la décision du Tribunal de l’Union européenne dans l’affaire T-125/24 contestant certaines dispositions du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Cette jurisprudence déterminera la compatibilité de cet instrument avec les règles de l’OMC et les engagements climatiques internationaux.
Évolutions jurisprudentielles en matière de préjudice écologique
Les cours d’appel françaises développent progressivement une doctrine sur l’évaluation du préjudice écologique pur. L’arrêt attendu de la cour d’appel de Bordeaux dans l’affaire de pollution du bassin d’Arcachon (n°24/00589) établira une méthodologie d’évaluation financière des dommages aux écosystèmes marins, potentiellement applicable à d’autres contentieux environnementaux.
Transformations du droit du travail à l’ère numérique
Le droit du travail connaîtra en 2025 des évolutions jurisprudentielles majeures concernant les nouvelles formes d’emploi. La Chambre sociale de la Cour de cassation doit se prononcer sur l’affaire « Syndicat des travailleurs numériques c/ Plateforme de services » (pourvoi n°25-12.456) qui redéfinira les critères du lien de subordination dans l’économie des plateformes. Cette décision intervient après plusieurs années de contentieux et pourrait clarifier définitivement le statut des travailleurs utilisant ces intermédiaires numériques.
Dans l’affaire « Durand c/ Entreprise Connectée » (pourvoi n°25-15.789), la Haute juridiction examinera pour la première fois la validité des clauses de déconnexion inversée – ces dispositions contractuelles qui imposent aux salariés de ne pas se connecter à certaines périodes pour garantir leur repos. La question centrale sera de déterminer si ces clauses constituent une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle ou une protection légitime de la santé au travail.
Le Conseil constitutionnel devra examiner une QPC sur les dispositions de la loi de 2024 encadrant le télétravail transfrontalier. Cette décision clarifiera la constitutionnalité des mécanismes de contrôle mis en place pour les salariés travaillant depuis l’étranger pour des entreprises françaises.
Au niveau européen, la CJUE rendra un arrêt déterminant dans l’affaire C-274/24 sur la surveillance numérique des travailleurs, notamment sur la légalité des systèmes de suivi continu de productivité au regard du RGPD et de la Charte des droits fondamentaux. Cette décision établira un équilibre entre les prérogatives managériales et la protection de la vie privée des salariés sur leur lieu de travail.
- Les juridictions devront préciser les limites du contrôle algorithmique de l’activité salariée
- Les conditions de validité des clauses de mobilité géographique dans un contexte de travail hybride seront clarifiées
Les conseils de prud’hommes connaissent une augmentation significative des litiges liés au droit à la déconnexion, avec déjà 127 affaires recensées au premier trimestre 2024. La jurisprudence qui se dessine tend vers une responsabilité accrue des employeurs dans la prévention des risques psychosociaux liés à l’hyperconnexion.
Nouvelles frontières du droit des données personnelles
L’année 2025 verra l’aboutissement de plusieurs contentieux majeurs en matière de protection des données personnelles. L’arrêt de la CJUE dans l’affaire C-293/24 tranchera la question de la portabilité des données biométriques entre différentes plateformes numériques. Cette décision déterminera si les utilisateurs peuvent exiger le transfert de leurs données de reconnaissance faciale ou vocale d’un service à un autre, avec des implications considérables pour l’interopérabilité des systèmes.
En France, le Conseil d’État examinera le recours n°485632 contre la délibération de la CNIL autorisant sous conditions l’utilisation de données génétiques anonymisées à des fins de recherche sans consentement spécifique. Cette jurisprudence posera les bases d’un équilibre entre progrès scientifique et autodétermination informationnelle.
La Cour de cassation devra se prononcer sur l’affaire « Collectif de parents c/ Éditeur de jeux vidéo » (pourvoi n°25-17.542) concernant la collecte de données comportementales d’enfants mineurs à des fins de personnalisation du gameplay. Cette décision précisera les conditions du consentement parental et les limites du profilage des utilisateurs mineurs.
Le Tribunal de l’Union européenne rendra sa décision dans l’affaire T-158/24 contestant la sanction record de 1,8 milliard d’euros infligée par la Commission européenne à une entreprise technologique pour violation systématique du RGPD. Ce jugement clarifiera les modalités de calcul des amendes en matière de protection des données et leur proportionnalité par rapport au chiffre d’affaires mondial.
Une attention particulière sera portée à la décision de la CEDH dans l’affaire « Société civile pour les libertés numériques c/ France » concernant la conservation généralisée des données de connexion pour les besoins de sécurité nationale. Cette jurisprudence déterminera si les exceptions au principe de confidentialité des communications électroniques prévues par la législation française sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme.
Le droit face aux innovations bioéthiques
Les avancées scientifiques dans le domaine biomédical suscitent des questions juridiques inédites que les tribunaux devront trancher en 2025. Le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité des dispositions de la loi de bioéthique de 2024 autorisant sous conditions la création d’embryons chimériques à des fins de recherche. Cette décision établira les limites constitutionnelles à l’expérimentation sur le vivant et à l’hybridation homme-animal.
La Cour de cassation examinera en assemblée plénière l’affaire « Parents génétiques c/ Clinique de procréation » (pourvoi n°25-19.874) concernant une erreur d’attribution d’embryons lors d’une FIV. Cette jurisprudence déterminera si la filiation génétique peut prévaloir sur la filiation par l’accouchement dans ce contexte particulier, avec des implications majeures pour le droit de la famille.
Au niveau européen, la CEDH rendra son arrêt dans l’affaire « Association pour l’autonomie corporelle c/ Allemagne » concernant les restrictions à l’auto-administration de traitements hormonaux pour les personnes transgenres. Cette décision précisera l’étendue de l’autonomie corporelle protégée par l’article 8 de la Convention.
Le Conseil d’État tranchera le recours n°489745 contre le décret autorisant l’utilisation de techniques de séquençage génomique préimplantatoire étendu pour certaines indications médicales. Cette jurisprudence définira les contours de l’eugénisme prohibé face aux avancées du diagnostic génétique.
Une attention particulière sera portée à la décision de la CJUE dans l’affaire C-318/24 concernant la brevetabilité des thérapies géniques somatiques. Ce jugement déterminera dans quelle mesure les modifications génétiques non transmissibles à la descendance peuvent faire l’objet d’une protection par le droit des brevets.
Questions émergentes en matière de neurodroit
Les tribunaux commencent à se saisir des implications juridiques des neurotechnologies. La cour d’appel de Paris devra statuer sur l’admissibilité comme preuve des résultats d’imagerie cérébrale fonctionnelle dans une affaire pénale (n°24/07823). Cette décision pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence sur la neuro-évidence et ses limites procédurales.
Les métamorphoses inattendues du contentieux
Les transformations technologiques et sociétales engendrent des mutations profondes dans la nature même du contentieux judiciaire. L’année 2025 verra émerger des jurisprudences sur des questions juridiques auparavant inimaginables. La Cour de cassation examinera l’affaire « Créateur c/ Utilisateur d’IA générative » (pourvoi n°25-20.147) concernant l’appropriation par une intelligence artificielle du style artistique d’un auteur vivant. Cette jurisprudence déterminera si le style créatif peut bénéficier d’une protection juridique au-delà des œuvres spécifiques.
Le Conseil d’État se prononcera sur le recours n°491258 contestant le refus d’accorder la personnalité juridique à un écosystème naturel. Cette décision s’inscrit dans un mouvement international de reconnaissance des droits de la nature et pourrait marquer une évolution conceptuelle majeure dans notre tradition juridique.
La CEDH rendra son arrêt dans l’affaire « Militants écologistes c/ Suisse » concernant l’invocation de l’état de nécessité climatique comme fait justificatif pour des actions de désobéissance civile. Cette jurisprudence précisera les conditions dans lesquelles la gravité de la menace climatique peut légitimer certaines infractions mineures.
Une attention particulière sera portée à la décision du Tribunal de l’Union européenne dans l’affaire T-203/24 contestant les modalités d’application du droit à l’oubli numérique aux contenus répliqués par les IA génératives. Cette jurisprudence devra concilier la protection de la vie privée avec les spécificités techniques des grands modèles de langage qui ne peuvent pas véritablement « oublier » leurs données d’entraînement.
Enfin, plusieurs juridictions devront se prononcer sur les litiges émergents liés aux mondes virtuels persistants. La question de la propriété des actifs numériques, de la responsabilité des opérateurs de plateformes métaverses et de l’application du droit dans ces espaces dématérialisés constituera un nouveau champ jurisprudentiel dont les premiers jalons seront posés en 2025.
Ces évolutions jurisprudentielles démontrent la plasticité remarquable du droit face aux innovations. Les juges, confrontés à des questions sans précédent, devront faire preuve d’une créativité interprétative pour adapter les principes juridiques fondamentaux à des réalités technologiques et sociales en mutation rapide.